Publié par CEMO Centre - Paris
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Ian Hamel
Ian Hamel

Allemagne : de la guerre secrète contre le communisme à la lutte contre le terrorisme

lundi 15/octobre/2018 - 04:31
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Pendant des décennies, le Service fédéral de renseignement (BND) a été au premier rang pour combattre les services soviétiques et ceux d’Allemagne de l’Est. Depuis la chute du mur, le BND a été contraint de se reconvertir complètement pour faire face à une nouvelle menace, celle du terrorisme islamiste. Fort heureusement, l’Allemagne possède depuis fort longtemps d’excellents spécialistes du Moyen-Orient.  

 

 

 

Il y a quelques semaines, un Français de 58 ans et une jeune Allemande étaient condamnés à la perpétuité par la Cour pénale centrale de Bagdad pour avoir rejoint l’État islamique. Nadia, dont le nom et l’âge n’ont pas été révélés, s’était rendue en Syrie puis en Irak en passant par la Turquie, en compagnie de sa sœur, de sa mère et de sa fille Yamama. Selon son avocat, elle était mineure au moment des faits. Pour sa défense, Nadia affirme avoir été violée par des membres de l’État islamique. Et c’est pour fuir les terroristes qu’elle se serait réfugiée en Irak, où elle a été arrêtée en juillet 2017 à Mossoul. Selon Le Monde, sa mère a d’abord été condamnée à mort en janvier 2018, avant que sa peine ne soit commuée en réclusion à perpétuité.

De son côté, le journal La Croix réussissait à interviewer en octobre 2018 Sofiane, un Allemand converti à l’islam, détenu par les Kurdes en Syrie. Parti rejoindre le Califat, cet originaire de Stuttgart, âgé de 36 ans, fabricant de chaussures orthopédiques, affirme qu’il n’a jamais combattu ni tué, se contentant de travailler dans un hôpital. Marié à une Syrienne, Sofiane a eu un petit garçon. Il rêve de tout recommencer à zéro, mais « conscient qu’en Allemagne la prison l’attend s’il est rapatrié, il espère que les autorités se montreront clémentes ».

Ces deux témoignages révèlent que l’Allemagne, qui, contrairement à la France, n’a jamais eu de colonies dans le monde musulman, n’est pas pour autant épargnée par le terrorisme islamiste. Les services de sécurité allemands ont d’ailleurs reconnu qu’un millier de leurs ressortissants étaient partis faire le djihad en Syrie et en Irak. Et qu’ils s’attendaient au retour d’une centaine d’enfants de ces “volontaires“ ayant combattu dans les rangs de Daesh.  Par ailleurs, ils estiment à 9 200 les individus radicalisés et à 1 200 ceux susceptibles des commettre des attentats.

La reconversion n’a pas été facile pour le Bundesnachrichtendienst (BND), le service de renseignement extérieur du gouvernement fédéral allemand, placé sous la tutelle du chancelier fédéral, et longtemps établi près de Munich. En effet, ce service a été créé en 1956 durant la Guerre froide, et sa principale préoccupation était de contrer l’infiltration d’espions venant de l’Est, et notamment d’Allemagne de l’Est. Aux avant-postes jusqu’à la fin de l’URSS, le BND est traditionnellement lié aux services secrets américains. Il a déjà été accusé d’avoir espionné pour la National Security Agency (NSA).

Bref, rien n’est plus difficile que de changer ses habitudes, et surtout d’ennemi. De plus, l’Allemagne est une République fédérale et ses compétences en matière de lutte contre le terrorisme international sont éclatées. En effet, l’État fédéral doit partager ses renseignements avec les 16 États régionaux, les Länder. Résultat, après l’attentat sur le marché de Noël à Berlin le 19 décembre 2016, qui a fait 12 morts, on a découvert que son auteur, le Tunisien Anis Amri (tué en Italie le 23 décembre), était considéré comme une menace dans l’Ouest de l’Allemagne, mais pas à Berlin, qui ne s’intéressait pas à lui. Faute d’échanges d’informations entre l’État fédéral et les Länder, un homme susceptible de préparer un attentat (et dont la demande d’asile avait été rejetée) n’était même pas surveillé dans la capitale du pays !

 

 

 Hassan al-Banna, admirateur d’Hitler  

 

 Malgré tout, les services allemands ne partent pas du néant. Depuis les années 1930, ils sont implantés au Moyen-Orient, en Égypte et en Afrique du Nord, afin de miner les empires coloniaux britannique et français. Tous ceux qui se sont passionnés pour les “exploits“ de Thomas E. Lawrence, le fameux Lawrence d’Arabie, comprennent que les Arabes se sont sentis trahis par les Occidentaux, pour ne pas dire cocufiés. Ne se sont-ils pas battus aux côtés de l’Angleterre contre l’Empire ottoman avec la promesse de la création d’un royaume arabe unifié, qui n’a alors pas vu le jour ?. Roger Faligot et Rémi Kauffer, auteurs du Croissant et de la croix gammée, racontent que Amine al-Husseini, le grand mufti de Jérusalem, prend en décembre 1936 des contacts avec Fritz Grobba, ambassadeur du Grand Reich en Irak. Il lui réclame des armes pour combattre les juifs et les Anglais. Refus poli des Allemands, encore trop faibles pour affronter les Britanniques.

Nouvelle approche en juillet 1937, cette fois entre le grand mufti et Walter Döhle, le consul général d’Allemagne à Jérusalem. « Une semaine plus tard, Döhle avise la Wilhelstrasse qu’un homme de confiance d’al-Husseini, le leader palestinien Moussa al-Alami, arrivera prochainement dans la capitale du Grand Reich pour y contacter secrètement Otto Von Hentig et Ernst von Weiszäcker ». C’est le tout début d’une alliance germano-arabe. Un an plus tard, en 1938, Wilhelm Canaris, le responsable de l’Abwehr, le service de renseignement de l’armée allemande, se rend en personne, sous une fausse identité, au Moyen-Orient. Il rencontre Amine al-Husseini au Moyen-Orient. L’homme le séduit. D’autant que, toujours, selon Le croissant et la croix gammée, les leaders politiques de cette région sont fascinés « à l’égard des méthodes totalitaires des mouvements fascistes d’Europe », qu’il s’agisse du modèle fasciste italien ou du modèle allemand.

L’Américain Bernard Lewis, le grand spécialiste du monde musulman, disparu cette année, constatait que l’Allemagne nazie « précédée en cela par l’Italie fasciste, fit un immense effort de propagande en direction des pays arabes afin d’y répandre sa propre forme d’idéologie nationaliste, de miner la position des puissances occidentales et, ce faisant d’étendre sa propre influence et sa domination ultime ». En clair, pour ce connaisseur du Moyen-Orient, « le nationalisme arabe fut profondément influencé durant cette période par l’idéologie nazie et fasciste ». L’Italie débute ses émissions de propagande à partir de 1935, les Allemands en 1938.

    Le grand mufti a-t-il à son tour contaminé Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans ? Ce dernier ne cache pas non plus son admiration pour le nazisme. S’inspirant des jeunesses hitlériennes, il crée en 1940 Les jeunes musulmans, surnommés les « Chemises kaki », une structure liée à la Confrérie. Ces Chemises kaki défilent le soir dans les rues du Caire avec des flambeaux, « chantant des slogans islamiques exprimant la force et la supériorité de leur mouvement (…) Ces jeunes militants de la Confrérie étaient d’ailleurs responsables d’attaques contre les magasins et propriétés juifs ». Les chemises kaki scandaient « L’Égypte au-dessus de tout », imitant « Deutschland, Deutschland über alles » (l’Allemagne doit dominer le monde), interprété par les nationaux-socialistes.  

    Selon le prédicateur qatari, d’origine égyptienne, Youssef al-Qaradawi, cité dans l’Histoire secrète des Frères musulmans, « l’idéologie du Reich allemand est quasiment similaire à la vision et au projet politique d’Hassan al-Banna pour l’oumma islamique ». De la même façon que le Reich allemand se prétendait le défenseur de la race aryenne, « l’islam oblige chaque musulman à se considérer comme le protecteur de toute personne respectant les prescriptions du Coran ».

 

Le grand mufti à Berlin

 

Le grand mufti de Jérusalem est allé très loin dans la collaboration. Sa tête étant mise à prix par les Britanniques, il débarque en Italie le 27 octobre 1941. Benito Mussolini le reçoit presque aussitôt et lui promet « une aide financière substantielle pour peu qu’il s’installe à Rome et se range sous la bannière du Duce ». Mais Amin al-Husseini préfère mettre ses espoirs dans l’Allemagne nazie. Le 28 novembre 1941, il est reçu par Adolf Hitler. Le führer, dit-on, aurait été conquis par les yeux bleus du Grand Mufti, signe de “l’aryanité“ de son propriétaire… Durant tout le reste de la guerre, Amin al-Husseini supervise depuis la banlieue de Berlin des émissions de radio destinées aux musulmans. elles mélangent musique arabe, citations du Coran et propagande antisémite. Il en appelle à « tuer des juifs où qu’on les trouve [car] cela satisfait Dieu, l’histoire et la religion » A Rome, le 15 septembre 1942, en présence de représentants allemands et italiens du contre-espionnage et de l’armée, le grand mufti propose « de créer un grand centre de propagande pour faciliter la collaboration entre les pays arabes et les puissances de l’axe ».

La même année, Amin al-Husseini participe au recrutement de musulmans dans les Balkans pour former la 13e division de montagne de la Waffen-Gerbirsdivision der SS, surnommée Handschar, forte de 19 000 hommes Celle-ci harcèle les partisans communistes de Tito, et s’illustre surtout par ses atrocités. En Croatie, le grand mufti Amin al-Husseini encourage les SS musulmans en affirmant que « la situation entre la Croatie et la Palestine est la même. Toutes deux combattent le même ennemi, les Anglais et leurs alliés juifs ».

 

L’accueil des Frères musulmans

 

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne fédérale, sous prétexte d’utiliser les compétences, va protéger ces anciens nazis qui connaissaient si bien le monde arabe. D’autant que l’Égypte et la Syrie se rapprochent de l’URSS. Bonn décide d’accueillir les Frères musulmans en exil. Les ennemis de mes ennemis ne sont-ils pas mes amis ? L’Allemagne donne ainsi refuge en 1970 à Aaren (autrefois Aix-la-Chapelle) à Issam al-Attar, le leader de la Confrérie en Syrie, condamné à mort par Damas. En 1981, un commando composé de trois personnes, envoyé par le régime, assassinera sa femme dans leur appartement.

En octobre 2005, Issam al-Attar, alors âgé de 78 ans, nous avait accordé une interview. « La mouvance islamique est majoritaire en Syrie. Les Frères musulmans ne sont qu’une composante de cette mouvance islamique. C’est une erreur de désigner les Frères musulmans comme des gens dangereux. Ils représentent au contraire une tendance modérée », nous avait-il déclaré, affirmant ne plus être ni un dirigeant ni le porte-parole de la Confrérie. Interrogé sur les Alaouites (cette branche de l’islam chiite à laquelle appartient le président Bachar al-Assad), Issam al-Attar les avait qualifié de « secte », ne les considérant pas comme des musulmans. Rappelons toutefois que l’organisation des Frères musulmans n’est pas interdite en Allemagne, comme d’ailleurs en France.     

 

Malgré leurs connaissances du monde musulman, les services allemands commettent eux aussi des bavures. Ils ont ainsi découvert qu’un de leur agent infiltré, chargé de surveiller la mouvance islamique, préparait un attentat contre le siège de l’Office fédéral de protection de la Constitution, c’est-à-dire le renseignement intérieur allemand ! Le magazine Marianne raconte que cet Allemand de 51 ans s’était secrètement converti à l’islam en 2014 en prêtant allégeance au prédicateur berlinois Mohamed Mahmoud, qui a rejoint depuis Daesh. Cela ne l’avait pas empêché de se faire recruter par la brigade chargée de surveiller la mouvance islamiste…

Personne n’est parfait. 

 

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